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On peut faire 25 kilomètres sans croiser une présence de l’État - 2017.12.14


La deuxième conférence nationale des territoires réunit aujourd’hui autour d’édouard Philippe une douzaine de membres du gouvernement, dans le Lot, un département... symbole du désengagement de l’État.

Édouard Philippe et le gouvernement ont décidé de passer trois jours dans le Lot. Ils ne sont pas les bienvenus pour de nombreux habitants qui se battent pour reconquérir des services publics de proximité. Pas une semaine ne passe sans qu’une mobilisation ne soit organisée pour sauver des écoles, des arrêts de train, des maternités, ou garder leur médecin. Nouvelle manifestation, aujourd’hui, en marge de la conférence nationale des territoires, pour défendre le droit de « vivre et de travailler partout » dans le Quercy. L’école publique a abandonné Molières. Une mauvaise farce dont ne se remet pas le maire de ce village du nord du Lot, Jean-Marie Laborie. « Je n’encaisse toujours pas, témoigne cet élu, frère d’un instituteur de l’école républicaine ». Début 2017, il apprend que le poste d’enseignant est supprimé. « S’il ne restait que 10 ou 15 enfants dans la commune, on pourrait comprendre, mais il y a 48 enfants dans le village », explique l’édile.

Fermer l’école, c’est tuer son village. « La cantinière se fournissait dans l’épicerie du village et la faisait vivre », raconte Jean-Marie Laborie. Des habitants écœurés par cette désertion du service public ont décidé d’ouvrir une structure associative. Dix jeunes enfants, en âge de maternelle, y ont fait leur rentrée. Il y a aujourd’hui une école à Molières, mais elle est privée, hors contrat. Ce n’est pas le seul lieu, dans le Lot, où le privé profite du désengagement de l’État. « Un autre village menacé par la fermeture d’une école envisage de monter une école Montessori, sur le modèle de Molières », rapporte Isabelle Baudis, de la CGT Éduc’action. Dans la vallée du Lot, à l’ouest du département, le regroupement scolaire de Montcabrier et Saint-Martin-le-Redon a fermé ses portes. Résultat : « une partie des élèves a rejoint un établissement privé, à Puy-l’Evêque », dénonce Céline Sompayrac, cosecrétaire départementale du Snuipp-FSU.

Le gouvernement se donne bonne conscience en venant dans le Lot

Sur les 340 communes du Lot, plus de la moitié n’ont plus d’école. 19 ont été fermées en à peine trois ans. Le ratio enseignants-élèves reste parmi les plus élevés de la région Occitanie, rappellent les autorités. Les Lotois seraient même parmi les mieux lotis. « On comprend qu’il faut créer des postes dans la métropole toulousaine, en pleine expansion, analyse Céline Sompayrac. Mais il faut changer la logique comptable qui traite de manière identique les territoires urbains, les endroits très isolés et les zones rurales. » Au-delà du critère du nombre d’élèves par classe (25 étant la norme), il faudrait selon elle prendre en compte les temps de déplacement des élèves, l’état du réseau routier et la cohérence du territoire. « Une école, ce n’est pas qu’un poste d’enseignant, cela crée de la vie, et représente un tissu associatif très important pour ces territoires. Dans certains endroits, c’est la seule présence de la République. Dans le Lot, aujourd’hui, vous pouvez faire 25 kilomètres sans croiser une école, sans présence de l’État », déplore la responsable du Snuipp-FSU.

Si Édouard Philippe et le gouvernement s’installent trois jours dans le Lot, c’est pour « se donner bonne conscience et se dédouaner. Un coup de com pour montrer que l’État s’occupe des zones rurales alors que c’est tout le contraire », s’énerve Éliane Lavergne, maire de Latronquière. Ce village de 500 habitants a obtenu un moratoire de trois ans sur la suppression de postes d’enseignants. Un répit, obtenu après une bagarre acharnée. Trois semaines à camper « jour et nuit » devant la sous-préfecture de Figeac, raconte cette élue, qui vient d’apprendre la fermeture prochaine de La Poste, tous les samedis. « La gendarmerie a aussi fermé dans la commune. C’est cinq ou six enfants en moins à l’école », dénonce la maire de Latronquière.

Malgré ce cercle vicieux de la désertification, Éliane Lavergne voit revenir des gens de la ville s’installer sur cette terre où la qualité de vie est inégalée, où la solidarité est vivace et fait naître des dizaines de projets. Sans parler de la beauté des sites, dans ce département très touristique. Au point que la population du département, au dernier recensement, était même en hausse. « Mais si on nous retire les services publics, comment va-t-on faire ? » interroge-t-elle. Serge Laybros, secrétaire du PCF dans le Lot, abonde : « Les services publics doivent jouer un rôle déterminant pour assurer l’égalité entre les citoyens, régler les déséquilibres entre les territoires. Ils sont un atout pour maintenir une attractivité dans notre département rural, pour faire venir de nouveaux habitants et des entreprises. Or, c’est précisément sur les services publics que les coups sont portés par ce gouvernement. » Le budget 2018, préparé par ce gouvernement, se traduit ici par huit postes en moins dans les finances publiques. Des chiffres concrets pour les Lotois, qui ont appris récemment que la perception de Bretenoux fermera ses portes au 1er janvier.

Le retour de l’intervention publique s’impose

Même faire des enfants n’est plus une mince affaire. Il ne demeure qu’une maternité dans le département, située à Cahors. Beaucoup de Lotois, désormais, ne naissent plus dans le Lot. Avec la fermeture de celle de Figeac, en 2009, les femmes enceintes habitant dans l’est du département accouchaient à Decazeville, dans l’Aveyron. Mais celle-ci a fermé à son tour, cet été. Il faut dorénavant se rendre à Villefranche-de-Rouergue, Brive ou Aurillac. Des trajets atteignant bien souvent une heure de route. Des accouchements dans les camions de pompier ou à domicile sont régulièrement relatés dans la presse locale, comme celui intervenu en octobre à Gourdon. Des sages-femmes ont intégré les services de secours, où elles forment les pompiers volontaires à ce genre de situation. « Un simple concours de circonstances », selon Marie-Pierre Taillade, médecin chef des pompiers du Lot, qui nie toute hausse d’accouchements inopinés.

« Il y a tout un bassin de vie avec des potentialités sur ce territoire, avec des entreprises de la Mécanic Vallée, comme Figeac Aero ou Ratier, des sous-traitants d’Airbus. Mais les jeunes couples, avant de s’y installer, veulent savoir où ils peuvent accoucher, avoir un médecin traitant », explique Marie Piqué, vice-présidente communiste de la région Occitanie, en charge des solidarités. Pour éviter de devenir un désert médical, de nombreuses collectivités ont financé des maisons de santé. « Mais nombres d’entre elles ont eu des difficultés à faire venir des médecins libéraux », confie Marie Piqué, qui pousse à la création de centres de santé publics. C’est ce qu’a finalement choisi de faire l’intercommunalité du Grand Figeac.

Le retour de l’intervention publique semble s’imposer de lui-même dans ce territoire rural. Le département a ainsi créé une société d’économie mixte, Lot aide à domicile, pour assurer un service couvrant toutes les communes, ce que les associations ne parvenaient plus à faire sur ce territoire comptant 39 % de retraités (plus du double de la moyenne nationale). « Nous pouvons trouver des solutions », plaide Serge Rigal, président PS du département, qui met en avant un territoire « dynamique », « innovant », qui compte le plus de produits régionaux labellisés et de nombreux atouts. À condition, toutefois, que l’État « ne laisse pas développer une France à deux vitesses, avec d’un côté la France des métropoles qui bénéficieraient de tous les équipements et de l’autre des départements ruraux qui n’auraient pas accès à la fibre et au numérique ». C’est le message qu’il compte porter auprès du premier ministre. Si un habitant d’une métropole ne paie pas un centime pour le déploiement du très haut débit, assuré par les opérateurs, c’est le contribuable lotois, via le département, qui doit payer l’acheminement du réseau dans les zones les moins rentables. L’autre grande inégalité, c’est aussi le transport. Cahors est aujourd’hui la capitale des villes les plus éloignées de Paris. Au prix d’une mobilisation exemplaire, le collectif Tous ensemble pour les gares a arraché de haute lutte des arrêts en gare de Gourdon et Souillac. Une grande mobilisation est prévue en janvier pour obtenir de nouveaux trains dès 2022, une amélioration de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et défendre le tronçon entre Brive et Rodez, desservant Figeac. Serge Rigal alerte aussi sur le sort du train de nuit, qui ne fonctionne plus en semaine depuis le 10 décembre. Mais ce ne devait pas être un problème pour Édouard Philippe. Pour se rendre à Cahors, il n’a évidemment pas pris le train…

PIERRE DUQUESNE

JEUDI, 14 DÉCEMBRE, 2017

L'HUMANITÉ
 

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le 14 décembre 2017

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